Plan social: ceux qui restent...
- L'Express L'Entreprise
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A la suite d'un plan de sauvegarde de l'emploi ou d'un plan de départ volontaire, les salariés épargnés par les licenciements sont souvent négligés par l'entreprise. Hausse de la charge de travail, sentiment d'abandon: survivre à un plan social se révèle difficile. Enquête.
C'est un sondage qui a fait beaucoup parler de lui fin 2012, et à travers lequel bon nombre de salariés peuvent se retrouver. Commandé par le groupe de formation Cesi, il détaille les sacrifices que ces derniers sont prêts à faire pour éviter un plan social. Selon les principaux résultats, 64% d'entre eux accepteraient de renoncer aux 35 heures, 59% un gel du salaire et 54% se disent ouverts à des périodes de chômage partiel. Mais au-delà, après avoir vécu l'angoisse d'être licenciés lors d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) ou après avoir connu la déception de ne pouvoir intégrer un plan de départ volontaire (PDV), les salariés d'une entreprise qui ''dégraisse'' ont un point commun : une phase ardue à dépasser faite de surcharge de travail et de collectif à recréer.
Augmentation de la charge de travail
Embauchée depuis deux ans chez chez Atradius, l'un des leaders mondiaux de l'assurance-crédit, en janvier 2011 Florence*, vit l'aboutissement du PSE débuté deux ans plus tôt, qui conduit au départ d'une trentaine de salariés sur 250. Même si la majorité des " partants " résident en province, elle qui travaille à Paris se souvient d'une forte incidence sur la charge de travail. " Celle-ci a grimpé de 20 % en raison de l'augmentation des tâches administratives après le départ des personnes qui s'en occupaient ", se souvient-elle. Rien à espérer du point de vue salarial en contrepartie de cette dégradation des conditions de travail : " On savait que c'était gelé ! " Nouvelle dans l'organigramme, elle dit toutefois n'avoir pas été trop ''émotionnellement'' touchée par les départs. Une seule personne dans son équipe était concernée, et elle n'a eu que peu de temps pour nouer des relations vraiment amicales.
Ce ne fut pas le cas de Geneviève. Salariée chez Sanofi depuis 30 ans, et sur son poste de " scientific documentation " (recherche et veille documentaire scientifique) à Toulouse depuis 2006, il lui manque quelques mois pour intégrer le plan de départs volontaires mis en place en 2009. Même si les départs se sont étalés sur plusieurs semaines, au bout d'un temps, Geneviève dit ne plus se reconnaître dans l'entreprise. Elle y a fait l'essentiel de sa carrière. " Je l'ai mal vécu, j'étais très déstabilisée, se souvient-elle. Mes points d'ancrages avaient disparu. Pour un renseignement, je devais reprendre l'organigramme afin d'identifier mes nouveaux interlocuteurs. En fait, c'est un peu comme si j'avais changé d'employeur... " Au total, entre les collègues avec qui elle était régulièrement en contact, les relations amicales au sein de l'entreprises et les véritables amitiés nouées au fil des ans, elle estime avoir perdu une cinquantaine de relations proches en moins d'un an. " A 55 ans, j'étais plongée dans une nouvelle entreprise, mais sans en avoir été préparée ", confesse Geneviève.
La galère continue...
De fait, les salariés épargnés par un plan social sont peu considérés une fois le dispositif effectivement en place. " Ceux qui restent sont souvent groguis debout ", affirme Xavier Tedeschi, fondateur du cabinet Latitude RH. Après un déchirement durant la phase de mise en oeuvre - empathie avec ceux qui partent, soulagement d'éviter le chômage -, " les salariés peuvent se dire : la galère continue ", explique le consultant. Il dit n'avoir jamais rencontré d'entreprise qui a véritablement intégré l'accompagnement des collaborateurs restant en poste. Chez Sanofi, Geneviève se souvient d'un modeste PowerPoint posté sur sa boite email sur la thématique du changement et du deuil. " Mais je n'ai absolument pas eu le sentiment d'être accompagnée ", dit-elle. Cela dépendait de chaque manager, de sa volonté de suivre au plus près ses équipes. De son côté, le seul geste qu'a vu Florence de la part de son entreprise - dont globalement la direction a été épargnée - est la diminution du budget de la soirée annuelle ! Une mesure symbolique censée prouver l'effort consenti par l'entreprise après le traumatisme du plan social : " On nous avait prévenu que ce serait moins prestigieux que l'année d'avant, mais ça dénotait encore dans le contexte de l'époque ", estime Florence, amère.
... Mais on se serre les coudes
Après le choc du plan social, les salariés récupèrent néanmoins peu à peu. Mieux, certains entrevoient du positif. Florence explique : " Cette période nous a obligé à nous serrer les coudes, on se soutenait moralement. " Une fois le sentiment de culpabilité dissipé, le travail a repris son cours avec une équipe plus soudée. Même impression chez Pierre*, ancien rédacteur en chef adjoint pour qui, en 2005, " la période post PSE a permis de passer à autre chose après les tensions et les rumeurs ". S'il affirme que certains ne s'en sont jamais remis, lui affirme avoir eu la capacité de se projeter rapidement vers le nouveau projet. " On négocie avec le traumatisme et on retrouve ses marques ", dit-il. Geneviève, quant à elle, veut aussi retenir un aspect intéressant : celui d'avoir rencontré de jeunes collaborateurs. En les aidant, en les informant, " on se sent de nouveau utile ".
Recréer du collectif
En complément de ces stratégies individuelles et informelles, Xavier Tedeschi regrette que les entreprises concernées ne mettent pas en place des actions plus construites. D'abord des bilans de carrière individuels pour que les salariés puissent répondre à la question : " Que vais-je devenir dans cette nouvelle organisation ? " Il milite également pour l'instauration de groupes de travail afin de mobiliser les collaborateurs autour de nouveaux projets. Et donc de recréer du collectif qui a éclaté quelques mois plus tôt.
Claude Bodeau, associé chez Kurt Salmon en charge de l'activité RH-Management, est moins critique, même s'il reconnaît que ceux qui restent sont souvent négligés : " Dans le cadre de PSE, de plus en plus d'entreprises, pour faire face à la détresse, mettent en place des cellules d'écoute. " Il recommande aux managers de réunir les équipes, de transmettre une nouvelle feuille de route claire avec un organigramme limpide. Une action parfois mise en place, mais rarement de manière homogène et cohérente dans l'ensemble de l'organisation.
Xavier Tedeschi plaide pour un langage de vérité de la part des directions, dans un contexte où le changement est permanent. De fait, il est fréquent de voir un plan social succéder à un premier quelques années plus tard. C'est le cas pour Geneviève, aujourd'hui confrontée à un nouveau PSE. Résignée, bientôt retraitée, elle espère pouvoir en bénéficier. Pierre, lui, a vécu un second plan social en 2007 : " Je me suis senti trahis après tous les efforts consentis. " Il quittera la profession peu de temps après...
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